Les Aventuriers

Les Aventuriers

Les Aventuriers – Trois âmes perdues s’élancent vers l’horizon

Les Aventuriers de Robert Enrico, un film qui n’a pas peur de conjuguer la nostalgie, la mélancolie et l’adrénaline. Pas une simple bobine pour tuer le dimanche, mais un souffle, une échappée, un poème en Technicolor où la mort danse avec l’amitié.

Ciné Beverley

 

Roland, l’aviateur (Lino Ventura), porte dans ses épaules toute la fatigue du monde. Manu, le mécanicien (Delon), incarne le feu, la fougue, la légèreté insolente d’un homme qui croit pouvoir rouler les dés contre le destin. Et puis Laetitia (Joanna Shimkus), cette artiste fragile, sculptrice de rêves brisés, qui s’accroche à eux comme une enfant qui refuse de descendre du manège.

Ce trio improbable se rencontre dans le chaos des hasards. Enrico nous les offre comme des âmes perdues qui, ensemble, tentent de dessiner une parenthèse. Et c’est cette parenthèse qui fait battre le cœur du film : une utopie de camaraderie, de désir, de fuite hors du monde. Mais la parenthèse, forcément, se referme.

Une mise en scène qui respire l’air salé

Robert Enrico filme l’océan comme un miroir : tantôt vaste et prometteur, tantôt brutal et implacable. Ses plans respirent la liberté, le vent, la mer qui claque contre les coques comme une gifle. Mais derrière cette liberté, on sent toujours l’ombre de la fatalité. Le ciel est bleu, mais c’est un bleu menaçant, trop vaste, comme si l’horizon cachait déjà le drame.

Le film emprunte à l’aventure américaine son goût du grand large et du trésor enfoui, mais l’inonde d’une mélancolie très française, presque baudelairienne. Ici, le butin n’est qu’un prétexte. Ce que cherchent ces aventuriers, ce n’est pas l’or, mais une seconde chance, une échappatoire à leurs vies ratées.

Deux visages d’un même désespoir

Lino Ventura et Alain Delon ne pouvaient pas être plus différents. Ventura, massif, carré, ce colosse tendre dont chaque geste respire la lassitude des lendemains qui ne viendront jamais. Delon, solaire, magnétique, dangereux, une étoile filante qui traverse l’écran. Et pourtant, à l’écran, ils sont frères. Ils s’aiment sans le dire, se comprennent sans se parler. Leur complicité est une évidence, un ciment qui rend l’histoire crédible.

Il y a chez Ventura une gravité bouleversante. Il incarne un homme qui a déjà tout perdu et qui continue quand même, par dignité. Chez Delon, c’est l’insouciance suicidaire, ce refus de croire que la mort existe. Ensemble, ils forment les deux pôles d’un même désespoir : l’un le porte avec gravité, l’autre le nie avec insolence.

La grâce au milieu des ruines

Il y a Joanna Shimkus. Elle n’a pas la présence écrasante de ses partenaires, mais c’est justement ça, sa force. Elle est l’air, la respiration, la légèreté. Dans un monde d’hommes brisés, elle incarne la promesse fragile de quelque chose de doux, d’autre chose que les armes, l’argent et la fatalité. Mais Enrico ne lui fait pas de cadeaux : la fragilité attire la tragédie. Et son personnage devient l’ange sacrificiel de cette fable noire.

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Une tragédie moderne

Il serait facile de vendre Les Aventuriers comme un simple film d’action. Enrico ne filme pas l’action comme un spectacle, mais comme une fatalité. Chaque fusillade, chaque explosion est une marche supplémentaire vers l’inévitable. Ce n’est pas le « comment » qui compte, mais le « pourquoi » – et surtout, le « pour rien ».

Le film est une tragédie moderne. Comme chez Sophocle ou Shakespeare, les héros sont condamnés dès la première scène. Ils veulent fuir leur destin, mais le destin est déjà assis dans le cockpit, à leurs côtés. La beauté du film, c’est qu’ils le savent. Et qu’ils y vont quand même.

Un film sur nous-mêmes

Pourquoi ce film nous touche-t-il tant ? Parce qu’il ne parle pas seulement de ces trois aventuriers, mais de nous. Qui n’a pas rêvé, un matin, de tout plaquer ?  Roland, Manu et Laetitia sont nos doubles fantasmés, les figures de ce désir d’évasion qui nous ronge tous. Mais la fuite est une illusion, on ne s’échappe pas de soi-même. On transporte ses fantômes, ses échecs, ses blessures, même au milieu de l’océan.

Un poème amer

Les Aventuriers est un film qui vous reste dans la peau. Parce qu’il dit, avec la force tranquille d’une tragédie antique, que nous sommes tous condamnés. Condamnés à désirer autre chose, condamnés à courir après des rêves qui se brisent, condamnés à aimer trop tard.

Un grand film, oui. Mais surtout, une grande blessure. En sortant, ce film,  j’ai senti un goût de sel, d’acier et de fatalité. Et ce goût-là, je ne suis pas près de l’oublier.

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Author: Battlestar